La santé mentale : le parent pauvre de la médecine. La souffrance est aussi chez les soignants…

Les soins psychiatriques se dégradent de façon insidieuse mais bien réelle, provoquant craintes, doutes, insécurité et révolte chez les soignants de première ligne.

L’originie du malaise : le manque de subsides

De nombreuses conséquences du manque de subsides accordés à la santé mentale sont relevées au sein des institutions psychiatriques :

Une pénurie de médecins psychiatres et d’infirmiers spécialisés

Les équipes soignantes sont réduites à leur plus simple expression, dans leur nombre et dans leur formation. Dans certaines institutions, les infirmiers spécialisés en psychiatrie sont rares, et souvent remplacés par de simples aides-soignants.

Un manque de lits

Si l’admission se fait parfois sous contrainte, il est clair que la sortie se fait parfois sous contrainte également (sortie prématurée, abusive), avec des conséquences catastrophiques pour le patient non suffisamment guéri.

Une absence de prise en charge diversifiée et personnalisée

En psychiatrie, suite à la pression des firmes pharmaceutiques, l’essentiel de la prise en charge du patient se limite le plus souvent à un traitement médical. Après des décennies d’avancée de la psychiatrie et de la psychanalyse, est-il acceptable que, faute de moyens, l’on recourre de plus en plus massivement aux drogues pour effacer la souffrance psychique (application massive de la théorie organiciste) sans s’occuper du malade ni lui permettre de réfléchir sur le sens de sa souffrance ? Trop peu de place est accordée aux autres techniques capables de diminuer l’angoisse du patient tout en augmentant son bien-être. Il s’agit de techniques s’adressant au corps : Snoezelen, relaxation, massages, … et de techniques permettant l’expression : ergothérapie créatrice, théâtre, bain verbal, expression écrite, … Le mental, le physique et l’émotionnel ne forment-ils pas un tout chez l’être humain ?

Le travail des infirmiers serait considérablement soulagé si les patients étaient plus occupés et surtout mieux occupés. Il ne faut pas perdre de vue qu’en psychiatrie plus que dans les autres services hospitaliers, le patient se trouve bien souvent dans un état de régression et donc en demande accrue de contacts parfois très privilégiés avec ses soignants. Une séparation provisoire d’une heure ou deux entre le soignant et le soigné serait salutaire pour tous : le soignant pourrait « souffler », le soigné reviendrait de son activité plus détendu. La relation serait meilleure. Hélas, toutes ces « techniques parallèles d’apaisement de l’angoisse » suppose l’engagement d’un personnel qualifié dans ces domaines précis.

L’importance du nombre de soignants et de leurs compétences

Ce qui suit permet de comprendre davantage le malaise pouvant se retrouver chez un ou plusieurs soignants d’une même équipe.

Le nombre

Dans bon nombre d’unités de soins, faute d’effectifs, le rythme de travail est très soutenu (soins, tâches administratives, réunions d’équipe). Le temps à consacrer à chaque patient est réduit. La relation soignant/soigné ainsi que la bonne organisation du travail en équipe peuvent dès lors se trouver compromises.

La formation

Un personnel insuffisamment formé sera très vite confronté à ses limites. D’où l’apparition rapide d’insécurité, de lassitude, voire de dégoût. Ce qui peut également compromettre l’efficacité du travail de toute une équipe.

Le soin, ce n’est pas faire une toilette ou aider un malade à manger. C’est tout le dispositif qui est mis en place pour un bon déroulement du projet thérapeutique :

  • soins techniques : médicaments, perfusions, dossiers,…
  • soins relationnels dispensés à une personne dont la relation au monde est perturbée ; le patient tend cette perturbation à l’infirmier sous forme de symptômes (repli sur soi, hétéro agressivité, troubles de l’humeur, ou du comportement, délire,…) ; dans la relation qu’il établit avec le patient, l’infirmier s’efforce de rétablir le lien entre la personne qu’il soigne et la réalité. L’infirmier doit connaître la vie mentale du patient: son histoire personnelle et familiale, ses antécédents pathologiques, son environnement socio-économique et culturel
  • soins éducationnels : réponses adéquates aux perturbations comportementales liées à la pathologie du patient et à leur incidence sur la vie quotidienne et sur l’autonomie (ex : conduites addictives)

Pour réaliser ces objectifs de soins, l’infirmier aura suivi une formation poussée, le sensibilisant à différents domaines. En voici quelques-uns :

  • l’appréhension de la personne soignée, de ses aspects émotionnels, intellectuels et sociaux : le soin ne s’arrête pas au traitement médicamenteux, mais s’inscrit dans le souci quotidien d’établir des liens psychiques
  • l’importance de relier la psychopathologie au développement normal de l’individu : les deux étant imbriqués l’un dans l’autre, mais en mettant plus l’accent sur le développement de la personne que sa pathologie en elle-même
  • la question du sens des choses, des rapports reliant les différents éléments constituant l’être humain pour arriver à décortiquer la dynamique de cet ensemble
  • l’appréhension de la dynamique des phénomènes psychiatriques relatifs aux situations de groupes, dans la mesure où l’infirmier ne soigne pas seul, ayant toujours affaire au groupe soignant ou parfois à des groupes de patients ou des groupes familiaux. La formation doit porter sur l’étude de ses propres aptitudes dans le groupe. D’où la nécessité de formations à dimension personnelle (psychodrames, jeux de rôles, dynamique de groupe, formation à l’entretien clinique, ateliers d’expression)
  • l’anthropologie, apport nécessaire à la compréhension de l’homme malade : les statuts sociaux et culturels ont un rôle dans la genèse des troubles mentaux
  • les conduites de transfert et de contre-transfert et les implications dans la relation soignant/soigné

 

La souffrance de l’équipe soignante

 

L’insécurité

En effet, on assiste depuis un certain temps à une évolution de la maladie mentale, cette dernière se compliquant souvent de toxicomanie. Les patients sont relativement plus jeunes et plus costauds. Insultes, bousculades, agressions en tout genre font le quotidien des soignants. Dans certaines équipes, les soignants sont en très grosse majorité des femmes, ce qui entretient chez elles une peur importante de se retrouver seules pour gérer des malades violents.

Lorsqu’une agression physique d’un patient sur un infirmier se produit, la conséquence est parfois une mise en isolement ou, pire encore, une exclusion. Inévitablement, tôt ou tard, une remise en question se fera chez cet infirmier devenu maltraitant à son tour. Sans soutien, c’est l’enfer.

Une conséquence possible de la violence des patients (même si elle n’est parfois que verbale) est la violence du personnel en écho à celle qui leur est projetée. Toutefois, il arrive aussi que le personnel, fatigué, défaitiste, démissionnaire parfois, agresse verbalement un patient qui n’a rien fait ou dit de particulier. Cela ne peut se produire. Le patient reste avant tout la première personne concernée par les soins. Effrayé, le patient peut se replier sur lui-même et mettre en péril son évolution : la prise en charge de toute une équipe doit en effet mettre le patient en confiance et en sécurité pour l’inciter à communiquer son mal-être. En cas de violence du personnel, le non-dit par rapport à cette violence aura pour conséquence une régression chez le patient agressé.

Deux conclusions sont à formuler par rapport à l’agressivité en milieu hospitalier :

  • La nécessité d’encadrer et de soutenir les soignants lors de réunions de soutien, d’entraide et de supervision
  • L’opportunité de former le personnel soignant à la gestion de la violence et de la situation de crise ainsi qu’à la pratique de la communication non-violente

 

Le manque de temps et de personnel

S’il n’affecte pas trop la qualité des actes techniques, il représente par contre une entrave sérieuse à la qualité des soins relationnels et éducationnels. Comment, faute de disponibilité (matérielle, mentale et émotionnelle), mettre en place une relation de confiance avec le patient dans le but de l’aider à reconstruire son rapport défectueux à la réalité ? Comment, vu le raccourcissement de la période d’hospitalisation, pouvoir espérer aboutir à un résultat satisfaisant pour le patient et valorisant pour l’intervenant ? La frustration dans ce domaine est évidente.

Un autre point interpellant qui fait souffrir les infirmiers qui ont délibérément choisi de travailler en psychiatrie, est de constater qu’il leur est de plus en plus demandé de soigner des symptômes, en respectant les prescriptions médicales, au lieu de soigner des maladies. Soigner une maladie demande beaucoup de travail, de présence, d’écoute et de patience, et ils ne disposent pas du temps nécessaire pour le faire. Il faut savoir aussi que certains médecins n’attendent de leurs infirmiers que la réalisation des actes techniques et que ceci pourrait décourager les infirmiers motivés.

Un danger est cependant à signaler : des soignants non formés ou insuffisamment formés à la complexité de la nature humaine peuvent, dans leur mode de relation au patient, mettre à mal le travail de reconstruction entrepris par les psychiatres et les psychologues, ainsi que par des collègues mieux formés. Les infirmiers spécialisés en psychiatrie savent cela et peuvent se sentir mal à l’aise face à ce phénomène.

Pour remédier au stress lié aux conditions de travail, le soutien par une personne extérieure au service est indispensable lui aussi.

Conclusions

Un problème de masse salariale met en péril la qualité des soins. L’insuffisance, voire l’absence de moyens mis à sa disposition (personnel, lits, diversification des prises en charge), peut empêcher le soignant de répondre à la souffrance du patient. Ceci peut renforcer à son tour la souffrance de ce soignant et le plonger dans la culpabilité, la colère, la démotivation ou la dépression.

Comment un infirmier peut-il s’épanouir lorsque l’essentiel de son travail s’en retrouve réduit à des actes techniques et que les hospitalisations sont parfois trop courtes pour engager un réel travail de reconstruction ?

Trop souvent, les équipes soignantes comportent trop peu d’infirmiers spécialisés en psychiatrie et trop peu d’infirmiers tout court. Les soignants formés souffrent inévitablement de cette non formation (ou de la formation insuffisante) de leurs collègues. La formation des soignants est capitale et devrait être continue afin de ne pas émietter les connaissances.

Le travail en équipe n’est pas toujours facile, et suppose l’acceptation du regard de l’Autre. Il s’agit pour les soignants de se remettre régulièrement en question, ce qui n’est pas simple.

La peur de l’agression est omniprésente chez tous les soignants et mérite d’être entendue. Une formation à la gestion des situations de crise ou de violence devrait être proposée dans toutes les institutions.

Enfin, un soutien ou une supervision par une personne étrangère au service est d’un intérêt capital : il devrait permettre à l’infirmier de décharger son stress, ses doutes, ses peurs ou sa colère. Ne lui demande-t-on pas d’être un surhomme ? Gérer ses émotions n’est guère facile. Il ne faut pas perdre de vue qu’un soignant est vulnérable dans bien des domaines, y compris celui d’être touché par la souffrance de l’autre. Souffrance qui renvoie toujours à son propre vécu…

La psychiatrie, trop méconnue et porteuse de lourds préjugés, est en mal de reconnaissance. La maladie mentale continue à faire peur et à être un synonyme de « folie ». Mais va-t-on faire de nos infirmiers en psychiatrie de nouveaux « gardiens d’asile » comme autrefois ? « Panser sans penser, produire des soins rapidement, … Faut-il que l’Autre en ait En-Vie. Le temps de l’envie n’existe plus. Où est le temps de la recherche du bien-être, d’un confort, de l’écoute, de la disponibilité ? ». Du malaise des soignants à leur souffrance, le pas semble avoir été franchi…

Françoise Makinay-Decoux

Références des sites Internet consultés :

  • Transmissions histoire des idées et pratiques en psychiatrie Jean Garrabe
  • Conférence nationale de psychiatrie la tribune FO Santé automne 2007
  • Etats Généraux psychiatrie en péril , presse Monde
  • Journée type d’un infirmier en psychiatrie
  • Spécificité du travail de l’infirmière en psychiatrie
  • Infirmier psychiatrique compétence professionnelle témoignage 79
  • Charte du patient hôpital psychiatrique temps plein
  • Charte de formation pour infirmiers en psychiatrie santé mentale

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